Ça change tout !

De plus en plus de sociétés ont recours à ces exercices où l’on joue des scènes sans texte rédigé à l’avance.

ANTOINE, cadre de 42 ans, est plutôt du genre réservé. Prendre la parole en public l’impressionne. En mai,lors d’une formation de trois jours destinée aux futurs dirigeants de son groupe, une session de théâtre d’improvisation a été proposée aux participants. « Quand le formateur a fait appel aux bonnes volontés pour une impro, je me suis dit que c’était une occasion en or pour sortir de ma zone de confort », confie-t-il, encore surpris de sa propre audace.

La consigne était amusante : avec un collègue, ils ont dû raconter comment ils avaient « braqué une banque ». Une pure invention pendant laquelle il s’est laissé entraîner par le récit de son partenaire. « J’ai adoré ce ping-pong verbal, souligne-t-il. J’en suis sorti fatigué, mais ravi ». Depuis, Antoine se dit que la prise de parole en public peut aussi avoir de bons côtés. « Je n’ai pas eu à nouveau l’occasion de m’exprimer devant des gens mais je pense que la prochaine fois que je serai confronté à ça, ça se passera mieux », espère-t-il.

De plus en plus de spécialistes du théâtre d’improvisation pimentent ateliers, séminaires et team buildings. Au programme : des petits exercices, des saynètes inventées et quelques joutes verbales. « Il y a une dizaine d’années, les groupes étaient davantage friands d’activités sportives collectives, souligne Aurelia Aubert, fondatrice de la Fabrique du Comédien. Désormais, ils privilégient des activités comme l’impro qui permettent de créer de la cohésion d’une autre manière, avec moins de mises en danger. »

Via son école de théâtre pour amateurs, elle intervient dans de grandes entreprises publiques et privées comme EDF, Coca-Cola ou Orange. « Au départ, les gens sont un peu tétanisés mais se prennent vite au jeu, commente-t- elle. Et grâce à l’atmosphère joviale et bienveillante, ils en ressortent armés de quelques outils pour une meilleure éloquence. »

« Il faut savoir entendre ce que dit l’autre »

Si les bienfaits individuels sur la confiance en soi et l’aisance à l’oral sont indéniables, le moment permet surtout d’entretenir le collectif. « L’impro permet de créer du lien dans une équipe, estime Nadine Rubeus, directrice de la Ligue d’impro. Elle développe des compétences relationnelles qui favorisent le travail de groupe. »

D’abord parce que ces saynètes impliquent un grand sens de l’écoute, qualité essentielle dans le monde du travail. « Il faut savoir entendre ce que dit l’autre, prévient Nadine Rubeus. Les deux personnes qui improvisent doivent cheminer ensemble pour coconstruire une histoire, sous peine de passer à côté. S’ils restent chacun dans leur univers, cela n’avance pas. En entreprise, on a parfois tendance à pré parer notre réponse avant même que l’autre ait terminé son développement. Le pas sage par le jeu permet donc de travailler son écoute et gommer certains travers ». Un avis partagé par Aurélia Aubert : « L’enjeu n’est pas d’interpréter un rôle, ni de se montrer bon comédien mais d’accepter les propositions de son ou ses partenaires, sans bloquer les échanges ».

La bonne ambiance évacue les tensions

Sabine Arnould, DRH de Stairway Management, se souvient avec enthousiasme de la journée de séminaire animée par la Ligue d’impro. Rassemblés en petits groupes de dix, les salariés ont enchaîné les défis thématiques, incarnant tantôt Le Radeau de la Méduse ou la tour Eiffel. « C’est physique! Mais tout le monde a joué le jeu », rigole-t-elle, qualifiant ce moment de « fédérateur et très convivial. »
La bonne ambiance permet aussi d’évacuer certaines tensions ou non-dits susceptibles de polluer le bon fonctionnement d’une équipe.

Nadine Rubeus se souvient d’un épisode avec l’intégralité du service RH d’une entreprise : « Nous étions juste après le confinement et je les ai fait improviser autour des questions de télétravail, de place dans le bureau ou d’organisation. C’était très concret mais toujours en adoptant la parodie. Et ça a fonctionné: ils ont pu extérioriser pas mal de frustrations et de tensions. »

Un interlude salvateur qui a sans doute évité quelques conflits. Même si, comme le rappelle Sabine Arnould, une session d’impro « ne remplace pas une séance avec un psy ou un coach ». Mais visiblement, c’est plus drôle !

Tiphaine Thuillier